Conseils d'experts
Le droit de préférence légal du locataire
Principe : En cas de mise en vente des locaux loués, le locataire bénéficie d'un droit de préférence (ou de préemption) pour se porter acquéreur du bien qu'il loue en vertu de l'article L 145-46-1 du Code de commerce.
Caractère obligatoire : l'article L 145-46-1 du Code de commerce est une disposition d'ordre public mise en place par la loi Pinel du 18 juin 2014. Les parties ne peuvent pas en écarter l'application, toute clause contraire devant être réputée non écrite.
1.Quelles sont les opérations concernées par ce droit de préférence ?
a. la vente des locaux loués
Le locataire commercial bénéficie d'un droit de préférence lorsque le propriétaire « envisage de vendre » le local. Sont visées les seules ventes volontaires, dont le prix et les conditions sont fixés par le propriétaire.
Cela exclut les apports, échange, dation en paiement, cession de parts de société...
b. Vente de locaux à usage commercial ou artisanal
L'article L 145-46-1, al. 1 du Code de commerce vise les locaux à usage commercial ou artisanal. L'usage à retenir est celui figurant dans la destination contractuelle, sans qu'il y ait lieu de s'attacher à l'activité réellement exercée dans les lieux loués.
Le droit de préférence s'applique au locataire de locaux qui y exploite une résidence de tourisme, hôtelière, étudiante ou de retraite, donc pour un usage final d'habitation, dès lors qu'il fournit des prestations de services aux sous-locataires.
Les locaux à usage industriel ont été exclus du champ d'application du droit de préférence.
Une incertitude demeure quant aux bureaux. Le droit de préemption constituant une atteinte au droit de propriété du bailleur, il est d'interprétation stricte, de sorte que les locaux à usage de bureaux ne devraient pas être concernés. Une réponse ministérielle récente indique également que le droit de préférence ne s’applique pas aux immeubles de bureaux (RM n°21155 - 25 février 2021).
Deux arrêts de Cour d'Appel ne sont pas sur la même ligne en apportant une précision de taille : tout dépend si l'immeuble de bureaux est occupé par une société commerciale qui exerce une activité commerciale.
Selon un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 1er décembre 2021 (n°20/00194), des locaux à usage de bureaux, loués à une société commerciale y exerçant une activité commerciale (en l'espèce administrateur de biens), peuvent faire l'objet d'un droit de préemption par ce locataire (idem pour CA Aix-en-Provence 20-11-2018 n° 17/04435, 1e ch concernant une société d'expertise comptable).
Cette incertitude devrait inciter le propriétaire à purger par « prudence » le droit de préférence au locataire d'un bien à usage de bureaux, sauf si l'activité exercée est une activité libérale ou non commerciale.
c. Bail commercial en cours
Le local vendu doit être l'objet d'un bail soumis au statut des baux commerciaux. Ne sont pas soumises au droit de préférence les ventes de locaux objets d'un bail dérogatoire ou d'une convention d'occupation précaire, ou d'un bail professionnel.
Lorsque le bailleur envisage de vendre son local après la fin du bail, en particulier après avoir donné congé avec refus de renouvellement au locataire, il semble que l'article L 145-46-1 ne soit pas applicable.
d. Exceptions au droit de préférence
L'article L 145-46-1 du Code de commerce ne s'applique pas dans les cas suivants :
- cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial ;
- cession unique de locaux commerciaux distincts (cession de portefeuille) ;
- cession d'un local commercial au copropriétaire d'un ensemble commercial ;
- cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux (ou un seul local commercial selon la doctrine) ;
- cession d'un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint.
2.Comment est mise en œuvre le droit de préférence ?
a. Notification au locataire de la vente envisagée
Le propriétaire doit informer le locataire de son intention de vendre le local loué par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. La notification par acte d'huissier, bien que non visée par le texte, est néanmoins possible.
La notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée.
Les conditions de la vente s'entendent des modalités de paiement du prix et des éventuelles charges imposées à l'acquéreur. L'offre de vente ne peut pas inclure les honoraires de négociation. Les honoraires d'agence doivent être donc être à la charge exclusive du vendeur. L'offre est également valable si le montant de ces honoraires est indiqué au locataire et s'il peut les retrancher du prix. Les dispositions des quatre premiers alinéas de l'article L 145-46-1 doivent être reproduites, à peine de nullité, dans la notification.
Moment de la notification au locataire de la vente envisagée
Le fait que l'offre de vente du bailleur ne doive pas inclure les frais de négociation n'interdit pas pour autant toute démarche du bailleur avant de notifier son offre. Il peut attendre d'avoir trouvé un acquéreur pour purger le droit de préférence auprès du locataire.
La notification vaut offre de vente au profit du locataire. Le propriétaire ne semble pas pouvoir la rétracter pendant le délai accordé au locataire pour se prononcer.
b. Réponse du locataire à la notification
Le locataire dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification qui lui est faite de la vente envisagée pour faire savoir au propriétaire qu'il exerce son droit de préférence.
Le droit de préemption est exercé aux prix et conditions qui ont été notifiés : le locataire qui exerce son droit de préférence ne peut discuter ni le prix ni les conditions notifiées. Il peut cependant dans sa réponse notifier son intention de recourir à un prêt.
c. Réalisation de la vente des locaux loués
En cas d'acceptation de l'offre de vente du bailleur, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, son acceptation de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet.
- la vente n'a été retardée que parce que le notaire se faisait alors l'écho du maintien de l'intention d'acquérir du tiers acquéreur, soutenu en cela par le vendeur ;
d. Nouveau droit de préférence en cas de projet de vente à des conditions plus avantageuses
Dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l'acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n'y a pas préalablement procédé, notifier au locataire dans les formes prévues n° 8350, à peine de nullité de la vente, ces conditions et ce prix.
Cette notification vaut offre de vente au profit du locataire. Elle est valable pendant une durée d'un mois à compter de sa réception. L'offre qui n'a pas été acceptée dans ce délai est.
3. Quelle est la sanction applicable en cas de non-respect du droit de préférence du locataire ?
Deux nullités sont prévues par l'article L 145-46-1 du Code de commerce :
- la nullité de la notification qui n'indiquerait pas le prix et les conditions de la vente envisagée ou qui ne reproduirait pas les quatre premiers alinéas de l'article L 145-46-1 ;
- la nullité de la vente dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l'acquéreur sans avoir préalablement notifié au preneur ces nouvelles conditions et ce nouveau prix.
Le législateur a omis de préciser la sanction du défaut de la première notification de l'offre de vente au locataire. Il a été jugé que la vente alors conclue avec un tiers en violation du droit reconnu au locataire est frappée de nullité.
La sanction est donc assez forte. Ceci doit amener les parties et leur conseil à examiner ce point avec vigilance, le notaire devant également assurer en tout état de cause la sécurité juridique de l'acte de vente du bine loué.
Auteur : Rémy NERRIERE - juriste-formateur en immobilier, Codirigeant de l'organisme de formation immobilier Immo-formation.fr. Ce sujet est développé dans une formation intitulée "Le bail commercial : fondamentaux et actualité".
Pour toute information sur cette formation : contact@immo-formation.fr. Mars 2024