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La résiliation du bail commercial par la mise en jeu de la clause résolutoire

La résiliation du bail commercial est un sujet d'importance majeure pour les professionnels de l'immobilier en France. Comprendre les différentes modalités et les conditions requises pour résilier un bail commercial est essentiel pour les propriétaires et les locataires. Cette série de trois articles vise à fournir un guide pratique sur la résiliation du bail commercial, en mettant l'accent sur les principales dispositions légales et les étapes clés à suivre.
La résiliation du bail est la rupture pour l'avenir du contrat en cours. Elle peut notamment résulter d'infractions aux clauses du bail (résiliation judiciaire ou résiliation de plein droit par application d'une clause résolutoire), d'un accord des parties (révocation mutuelle) ou de la perte de l'immeuble. Par ailleurs, les parties disposent d'une faculté de résiliation triennale.
Nous abordons dans cet article la résiliation du bail par la mise en jeu d'une clause résolutoire.
La résiliation du bail en présence d'une clause résolutoire
La plupart des baux commerciaux contiennent une clause qui prévoit la résiliation de plein droit du bail en cas de manquement du locataire à une seule de ses obligations (par exemple, pour défaut de paiement d'un seul terme de loyer à son échéance, pour usage de l'immeuble contraire à sa destination, pour sous-location non autorisée, pour défaut de notification des changements d'état du locataire…).
Cette clause est régie par les dispositions de l'article L 145-41 du Code de commerce.
Les dispositions de l'article L 145-41 sont d'ordre public, de sorte que tout aménagement conventionnel est réputé non écrit.
Par rapport à la résolution judiciaire du bail, la clause résolutoire de plein droit présente un intérêt certain pour les parties. En présence d'une telle clause, le juge ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation : il ne peut que constater, si tel est le cas, l'acquisition de la clause et la résiliation du bail, quelque soit le degré de la gravité de la faute du locataire.
Attention à la rédaction de la clause résolutoire : celle-ci doit exprimer de manière non équivoque la commune intention des parties de mettre fin de plein droit à la convention. Ce n'est pas le cas lorsque la clause stipule qu'à défaut de paiement à son échéance d'un seul terme, et un mois après un commandement de payer resté infructueux, une partie « peut » demander la résolution du contrat, ou lorsque la clause précise qu'en cas d'inexécution par le locataire de telle obligation, le bailleur pourra « faire prononcer » la résolution du bail. Dans ces cas là, le juge dispose toujours de la liberté de mettre fin ou non au bail commercial.
A. Comment mettre en œuvre la clause résolutoire ?
La clause résolutoire est applicable pendant toute la durée du bail commercial dans lequel elle est stipulée. Elle continue à s'appliquer lorsque, à l'expiration du bail, celui-ci est tacitement prolongé ou s'il est renouvelé dans les mêmes termes que le bail expiré. À l'occasion du renouvellement, les parties peuvent toutefois convenir de supprimer ou de modifier la clause résolutoire figurant dans le bail initial.
Par ailleurs, en cas de refus de renouvellement, le bailleur peut invoquer la clause résolutoire du bail expiré à l'égard du locataire qui se maintient dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction. En effet, jusqu'au paiement de l'indemnité, les conditions et clauses du bail expiré
a- Conditions minimales liés à une faute du locataire
Deux conditions sont nécessaires pour mettre en œuvre la clause :
- Une violation d'une stipulation expresse du bail
- sanctionnée contractuellement par la clause résolutoire.
La clause résolutoire doit être rédigée avec attention car elle ne peut être mise en œuvre que pour les manquements aux obligations expressément visées dans le bail. La clause qui vise d'une manière générale « toutes les infractions ou dispositions du présent bail » ou certaines obligations précises du bail ne joue que pour ces obligations. Elle ne peut pas sanctionner les obligations mises à la charge du locataire par le statut des baux commerciaux ou des textes particuliers et non reprises dans le bail.
Par exemple, le bailleur ne peut donc pas mettre en œuvre la clause résolutoire en cas de sous-location irrégulière lorsque l'interdiction de sous-louer ne figure pas dans le bail mais résulte exclusivement des dispositions de l'article L 145-31 du Code de commerce.
Même lorsqu'elle vise avec précision les manquements susceptibles d'entraîner la résiliation, la clause résolutoire est interprétée restrictivement.
Par exemple, la clause résolutoire qui ne vise que le non-paiement « des loyers » ne peut pas sanctionner le non-paiement d'une indemnité d'occupation ou le non-paiement des charges.
La loi (Article L145-45 du Code de commerce) interdit également de mentionner comme motif de mise en jeu de la clause résolutoire le redressement et la liquidation judiciaires du locataire.
b. Nécessité d'un commandement visant la clause résolutoire
La mise en œuvre de la clause résolutoire est subordonnée à la délivrance d'un commandement (formalité impérative). En pratique, le bailleur doit faire connaître par voie d'huissier au locataire les infractions qui lui sont reprochées et l'informe de ce qu'il entend user du bénéfice de la clause résolutoire si le locataire n'exécute pas ses obligations dans le délai imparti.
Le commandement doit être délivré par le propriétaire de l'immeuble au titulaire du bail (à son représentant légal en cas de société). Lorsqu'un local est pris à bail par plusieurs personnes, le commandement visant la clause résolutoire doit nécessairement être notifié à chacun des colocataires. Le commandement peut valablement être délivré à l'adresse des lieux loués en cas de clause d'élection de domicile dans ces lieux.
Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner le délai d'un mois dont dispose le locataire pour remédier au manquement invoqué. Le délai d'un mois étant un délai minimal, les parties sont libres de prévoir un délai de régularisation plus long auquel cas le commandement doit viser ce délai conventionnel, à peine de nullité.
Le commandement doit indiquer de façon précise les manquements auxquels il doit être remédié. En cas de mise en demeure de payer, le montant des loyers dus doit figurer au commandement.
Le juge ne peut pas constater l'acquisition de la clause résolutoire pour une infraction commise par le locataire qui n'est pas visée dans le commandement.
c. Persistance de l'infraction pendant plus d'un mois
La résiliation de plein droit du bail ne peut intervenir qu'un mois au moins après le commandement de payer ou d'exécuter demeuré infructueux. La preuve de la persistance de l'infraction aux clauses du bail après l'expiration du délai de mise en demeure incombe au bailleur.
En revanche, si le locataire a obtempéré à la mise en demeure dans le délai prévu, la clause résolutoire ne joue pas.
En cas de cession du bail par le preneur, le manquement du cédant devient celui du cessionnaire si, mis en demeure de le faire cesser, ce dernier n'obtempère pas. Par suite, un cessionnaire peut se voir opposer l'acquisition de la clause résolutoire en raison de la continuation du manquement après la cession du bail. Moyens de défense du locataire face au jeu de la clause résolutoire
d .Bonne foi du bailleur dans la mise en œuvre de la clause résolutoire
La règle selon laquelle les contrats doivent être exécutés de bonne foi permet de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle.
Exemple de mauvaise foi : lorsque le bailleur a lui-même créé les conditions de non-exploitation du fonds de commerce exploité par son locataire et qu'il est l'auteur d'une manœuvre pour faire échec au droit au renouvellement du bail. De même, délivrer un commandement délivré à un locataire en son absence pendant la période de vacances peut constituer un comportement de mauvaise foi et le commandement, dans ce cas-là, ne peut pas avoir effet pour mettre en jeu une clause résolutoire.
e. Renonciation du bailleur au bénéfice de la clause résolutoire
Le bailleur peut ne pas invoquer la clause résolutoire ou y renoncer après avoir manifesté l'intention de s'en prévaloir tant que le locataire n'a pas exprimé sa volonté d'accepter la résiliation.
La plupart des clauses résolutoires contiennent d'ailleurs une formule selon laquelle « le bail est résilié de plein droit si bon semble au bailleur en cas d'infraction ayant persisté un mois après un commandement visant ladite clause ».
Il en résulte que le locataire ne peut pas revendiquer la résiliation automatique du bail au motif qu'il n'a pas exécuté ses obligations à l'expiration du délai fixé dans le commandement dès lors que le bailleur ne s'en prévaut pas lui-même ou y renonce. L'objet de la clause résolutoire est en effet de sanctionner le locataire qui a manqué à une obligation contractuelle, et non lui permettre de se désengager.
B. Comment constater judiciairement la résiliation
La mise en œuvre d'une clause résolutoire relève, dans tous les cas et quel que soit le manquement invoqué, de la compétence du tribunal judiciaire (ex-TGI) du lieu de situation de l'immeuble.
La demande de mise en jeu de la clause peut être faite en référé. La clause résolutoire peut d'ailleurs valablement attribuer compétence au juge des référés pour donner effet à la résiliation. Le juge n'a pas alors à relever l'urgence ni, à notre avis, l'absence de contestation sérieuse, car les parties, en choisissant d'investir le juge des référés, n'ont fait qu'exercer un droit (celui de choisir leur juge) dont elles ont la libre disposition.
Dès lors que ses conditions d'application sont remplies et qu'aucune demande de suspension des effets de la clause n'a été formulée par le locataire (cas de force majeure) la clause résolutoire s'impose au juge. Son rôle se limite à constater l'acquisition de la clause résolutoire qui intervient à la date d'expiration du délai imparti par le commandement et à ordonner l'expulsion du locataire.
Le juge n'a pas à rechercher si la sanction est proportionnée ou non à la gravité du manquement invoqué. La résiliation de plein droit du bail s'impose au juge même si le manquement ne porte pas préjudice au bailleur ou si le locataire est de bonne foi.
La décision du juge des référés qui constate la résiliation du bail par l'effet d'une clause résolutoire et ordonne l'expulsion du locataire est une ordonnance exécutoire de plein droit à titre provisoire même si elle est frappée d'appel ; cette exécution est alors poursuivie aux risques et périls du bailleur, à charge pour lui de réparer, en cas d'infirmation de la décision, le préjudice qui en résulte, sans qu'il soit nécessaire de relever une faute de sa part.
Attention, les juges peuvent, à la demande du locataire et en vertu de l'article 1343-5 du Code civil accorder des délais et suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée (C. com. art. L 145-41, al. 2). La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge
C. Les effets de la clause résolutoire
À compter de la date d'acquisition de la clause résolutoire, le bail est résilié, le locataire peut être expulsé et n'est plus tenu au paiement de loyers mais est redevable, le cas échéant, d'une indemnité d'occupation.
De plus, la clause résolutoire stipule le plus souvent : "il est enfin précisé que le locataire est tenu des obligations du présent bail jusqu'à libération effective des lieux sans préjudice des dispositions de l'article 1760 du Code Civil, et ce nonobstant l'expulsion. » L'article 1760 du Code civil dispose quant à lui : " En cas de résiliation par la faute du locataire, celui-ci est tenu de payer le prix du bail pendant le temps nécessaire à la relocation, sans préjudice des dommages et intérêts qui ont pu résulter de l'abus." En pratique, le bailleur pourra ainsi solliciter le juge, en référé, par exemple, à titre provisionnel, dans le cadre de la demande de mise en jeu de la clause résolutoire, une indemnité de relocation, au titre du préjudice qu'il subit, le forçant à trouver un nouveau locataire pendant quelque temps (le montant accordé est généralement de 6 mois de loyer, correspond au temps moyen , constaté, pour un bailleur, pour pouvoir relouer son bien).
D. Demande de délai d'exécution et suspension des effets de la clause résolutoire
Attention, les juges peuvent, à la demande du locataire et en vertu de l'article 1343-5 du Code civil accorder des délais et suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée (C. com. art. L 145-41, al. 2). La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Le juge peut donc, sans se contredire, après avoir constaté l'acquisition de la clause résolutoire, en suspendre les effets pendant le délai accordé pour apurer la dette et dire que celle-ci sera réputée ne pas avoir joué en cas de paiement dans le délai.
La demande du locataire peut être formulée pour la première fois en appel, et donc formée même après l'expiration du délai d'un mois à compter du commandement.
Le juge a le pouvoir d'accorder des délais quel que soit le manquement du locataire à ses obligations.
La suspension de la clause a ainsi été accordée :
- pour un usage des lieux non conforme aux clauses du bail, tel que l'apposition d'une enseigne;
- pour un défaut de paiement de toute somme due en vertu du bail, telles les charges ;
- pour l'omission de faire concourir le bailleur à l'acte de sous-location.
L'article L 145-41 du Code de commerce étant un texte d'ordre public (C. com. art. L 145-15), aucune stipulation contractuelle ne peut faire échec au pouvoir du juge de suspendre les effets de la clause résolutoire en accordant des délais. Par suite, une stipulation du bail prévoyant la résiliation de plein droit un mois après un commandement de payer resté infructueux « nonobstant toutes offres et consignations ultérieures » ne peut pas empêcher le juge d'accorder des délais compte tenu des difficultés d'exploitation du locataire.
Les juges disposent d'un pouvoir discrétionnaire pour refuser d'accorder des délais, ce qui leur permet de rendre leur décision sans avoir à la motiver. En revanche, accorder un délai impose une motivation précise de la part du juge. La décision doit être prise en considération de la situation du locataire et des besoins du bailleur. L'examen de la bonne foi du locataire est prépondérant en jurisprudence.
Le délai qui peut être accordé ne peut pas excéder deux ans (C. civ. art. 1343-5, al. 1). Si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge, la clause résolutoire ne joue pas. En contrepartie, la clause résolutoire est définitivement acquise si le locataire ne satisfait pas aux obligations prescrites par le juge.
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Auteur : Rémy NERRIERE - juriste-formateur en immobilier, Codirigeant de l'organisme de formation immobilier Immo-formation.fr. Ce sujet est développé dans une Formation bail commercial d'une journée.
Pour toute information sur cette formation : contact@immo-formation.fr. Juillet 2023