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La résiliation du bail commercial : la résiliation triennale légale

La résiliation du bail commercial est un sujet d'importance majeure pour les professionnels de l'immobilier en France. Comprendre les différentes modalités et les conditions requises pour résilier un bail commercial est essentiel pour les propriétaires et les locataires. Cet article composé en plusieurs parties vise à fournir un guide pratique sur la résiliation du bail commercial, en mettant l'accent sur les principales dispositions légales et les étapes clés à suivre.
La résiliation du bail est la rupture pour l'avenir du contrat en cours. Elle peut notamment résulter d'infractions aux clauses du bail (résiliation judiciaire ou résiliation de plein droit par application d'une clause résolutoire), d'un accord des parties (révocation mutuelle) ou de la perte de l'immeuble. Par ailleurs, les parties disposent d'une faculté de résiliation triennale.
Nous avons choisi d'aborder dans cet article la résiliation triennale légale.
Le locataire et le bailleur ont chacun la faculté de résilier le bail unilatéralement tous les trois ans.
A. La résiliation par le locataire
Le Code de commerce permet au locataire de donner congé à l'expiration de chaque période triennale (C. com. art. L 145-4, al. 2). Cette faculté de résiliation est discrétionnaire et le locataire n'est pas tenu de préciser les motifs pour lesquels il donne congé. Cette faculté est à l'origine du nom donné au bail commercial : le "3, 6, 9".
Faute de congé, le bail se poursuit au terme de chaque période triennale aux conditions prévues initialement.
Les parties peuvent aménager le droit de résiliation triennale du locataire dans certains baux limitativement énumérés (C. com. art. L 145-4, al. 2) :
- les baux conclus pour plus de neuf ans ;
- les baux de locaux construits en vue d'une seule utilisation (locaux « monovalents ») ;
- les baux de locaux à usage exclusif de bureaux ;
- les baux de locaux de stockage mentionnés à l'article 231 ter, III-3° du Code général des impôts (locaux ou aires couvertes destinés à l'entreposage de produits, de marchandises ou de biens et qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production).
Dans ces quatre cas, les parties peuvent exclure conventionnellement toute faculté de résiliation triennale : conclure un bail ferme par exemple ou renoncer simplement à donner congé à l'issue de la première phase de trois ans). Les parties peuvent également assortir l'exercice de cette résiliation d'une indemnité destinée à compenser le préjudice subi par le bailleur du fait de la résiliation anticipée du bail.
L'indemnité de résiliation versée par le locataire au propriétaire doit être comprise dans les recettes brutes foncières imposables de celui-ci. Cette solution s'impose dès lors que l'indemnité est destinée à compenser une perte de recettes (perte de loyers) ou un accroissement des charges du bailleur.
Pour le locataire, l'indemnité versée est déductible dès lors qu'elle présente un caractère normal.
Hormis ces quatre exceptions, les parties ne peuvent pas conférer au bail une durée ferme de neuf ans, ni assortir l'exercice de la résiliation triennale d'une indemnité au profit du bailleur, contrairement à la faculté qui leur en était reconnue avant la loi Pinel du 18 juin 2014.
Ainsi les locaux à usage de commerce d'une durée de neuf ans comporte obligatoirement une faculté de résiliation triennale au profit du locataire. Depuis la loi Pinel, les bailleurs ont ainsi tendance à proposer au commerçant un bail d'une durée de dix ans afin de pouvoir supprimer la faculté de donner congé à la première période triennale (ou aux deux). Cette durée de dix ans a également l'avantage de déplafonner le loyer lors de son renouvellement.
Au niveau du formalisme, le locataire a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale au moins six mois à l'avance par lettre recommandée AR ou acte extrajudiciaire.
Lorsque le bail a été consenti à plusieurs locataires, le congé doit être délivré par l'ensemble des locataires. En effet, sauf stipulation conventionnelle expresse, la seule volonté d'un locataire de résilier le bail ne peut suffire à mettre fin au contrat à l'égard des autres colocataires
Le respect des règles de forme est impératif.
Le délai de préavis étant un délai minimal, rien n'interdit aux parties de prévoir un délai plus long dans leur bail.
En cas de non-respect des conditions de forme, le congé est nul. Le bail se poursuit, sauf à convenir d'une rupture amiable.
B. Résiliation triennale du bail par le bailleur
Le bailleur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale :
- pour construire, reconstruire ou surélever l'immeuble existant,
- pour réaffecter le local d'habitation accessoire à cet usage,
- pour transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation,
- pour exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d'une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l'immeuble dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain (C. com. art. L 145-4, al. 3).
a- Concernant le congé pour construire ou reconstruire l'immeuble existant, le bailleur doit payer au locataire évincé une indemnité d'éviction. Il peut toutefois se soustraire au paiement de celle-ci en offrant au locataire un local de remplacement correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent (C. com. art. L 145-18, al. 1 et 3). Cela nécessite une reconstruction totale de l'immeuble et non une transformation ou un réaménagement.
Le bailleur doit avoir, à la date du congé, l'intention de démolir l'immeuble pour le reconstruire. La sincérité du bailleur est présumée. Par conséquent, il n'est pas obligé d'obtenir, préalablement à sa demande de reprise pour reconstruire, un permis de construire. De plus, il n'a pas à donner les raisons qui le conduisent à reconstruire.
L'offre d'un local de remplacement n'est valable que si elle porte sur un autre local existant, ce qui exclut le cas où le bailleur offre seulement un local qu'il se propose de construire et qui pourrait n'être jamais construit, et ce même si la construction du local a déjà commencé et si les plans ont été fournis au locataire.
Concernant la surélévation de l'immeuble, il faut se placer dans les conditions de l'article L145-21 du Code de commerce : le bailleur peut suspendre la durée du bail pour un durée maximale de trois ans s'il se propose de surélever l'immeuble et si cette surélévation rend nécessaire l'éviction temporaire du locataire. Dans ce cas, le locataire a droit à une indemnité égale au préjudice subi, sans pouvoir excéder trois ans de loyer.
L'article L 145-21 du Code de commerce ne concerne que la surélévation de l'immeuble loué et n'est pas applicable à sa démolition suivie d'une reconstruction.
b- Opération de restauration immobilière et renouvellement urbain
Lorsque le bailleur effectue des travaux dans les sites patrimoniaux remarquables ou des opérations de restauration immobilière (opérations dites "malraux"), il bénéficie de deux types de droit de reprise :
- à la fin du bail ou à l'occasion d'une échéance triennale en application de l'article L 145-18, al. 3 du Code de commerce;
- à tout moment au cours du bail sous réserve de reporter le bail du locataire sur un autre local, en application de l'article L 145-6 du Code de commerce.
Les opérations de restauration immobilière consistent en des travaux de remise en état, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d'habitabilité d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles. Elles sont engagées à l'initiative soit des collectivités publiques, soit d'un ou plusieurs propriétaires. Lorsqu'elles ne sont pas prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé, ces opérations doivent être déclarées d'utilité publique (C. urb. art. L 313-4).
A l'échéance triennale, on fait application des mêmes principes énoncés au a) ci-dessus : indemnité d'éviction à défaut d'une offre de local de remplacement.
Le bail en cours est transféré sur le nouveau local avec ses modifications éventuelles. Le bail étant poursuivi, sa durée est inchangée. Le locataire déplacé a droit à une indemnité de dépossession qui peut couvrir notamment les frais éventuels de l'installation provisoire, les frais de déménagement et de réinstallation.
Le congé triennal du bailleur peut concerner également un projet de renouvellement urbain : ce dernier est prévu par l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme.
c - Concernant le congé pour transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation, ce motif a été ajouté par la récente loi ELAN du 23 novembre 2018. Il a pour but d'encourager et de faciliter les acquisitions par les promoteurs de locaux à usage de bureaux ou de commerce afin de les transformer en logement. Il existe en effet en Ile-de-France plus de 900 000 m2 de locaux à usage de bureaux vacant depuis plus de 4 ans. En corollaire, le nombre de construction de locaux d'habitation n'est pas suffisant aujourd'hui pour faire face à la demande, surtout lorsque les pouvoirs publics ne souhaitent plus libérer de foncier (lutte contre l'étalement urbain).
La possibilité pour le bailleur d’échapper au paiement de l’indemnité d’éviction en offrant un local de remplacement n’est pas prévue pour le congé notifié dans le cadre de la transformation de l’immeuble. De même, il n’est pas expressément précisé que le locataire aura droit, dans ce cas, à une indemnité d’éviction. On fera alors application de la règle générale énoncée à l’article L. 145-14 du Code de commerce : «le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement».
Le bailleur qui délivre un congé pour transformer à usage principal d’habitation un immeuble existant devrait donc être tenu de régler une indemnité d’éviction au locataire.
A suivre : la résiliation du bail par la mise en jeu de la clause résolutoire, la résiliation judiciaire et la résiliation amiable
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Auteur : Rémy NERRIERE - juriste-formateur en immobilier, Codirigeant du centre de formation spécialisé dans l'immobilier : immo-formation.fr
Ce sujet est développé dans une Formation bail commercial d'une journée.
Pour toute information sur cette formation : contact@immo-formation.fr. Juillet 2023