Conseils d'experts
Le Bail Dérogatoire : conditions, durée et aspects juridiques
Introduction
Le bail dérogatoire, souvent désigné sous le terme de "bail de courte durée", se positionne comme une phase préliminaire avant l'éventuelle signature d'un bail commercial. C'est un "bail a l'essai". Son objectif principal est de concéder une certaine souplesse tant aux bailleurs qu'aux locataires. Cette flexibilité permet au bailleur de ne pas s'engager à long terme avec un locataire dont il n'a pas une connaissance approfondie. Parallèlement, elle octroie au locataire la possibilité d'évaluer la qualité de l'emplacement destiné à son activité commerciale.
Sources Légales
Les fondements légaux du bail dérogatoire sont établis dans l'article L 145-5 du Code de commerce. Cet article fixe les conditions requises pour que les parties puissent opter pour un bail dérogeant au statut des baux commerciaux. Ces conditions, soigneusement encadrées, incluent notamment une durée maximale de trois ans pour le bail dérogatoire, instaurant des limites afin de prévenir tout abus ou contournement des règles édictées par la loi.
Terminologie
Il est crucial d'éviter l'usage de l'expression "bail précaire" en raison de son potentiel à créer une confusion avec la convention d'occupation précaire. De plus, le bail dérogatoire se distingue nettement de la location saisonnière, soulignant ainsi l'importance d'une terminologie précise dans le contexte juridique. Une location est dite « saisonnière » lorsque la convention confère la jouissance des locaux pour une saison touristique.
Conditions du Bail de Courte Durée
La conclusion d'un bail de courte durée, régie par l'article L 145-5, requiert que la durée totale du bail n'excède pas trois ans. Les parties doivent exprimer clairement leur volonté de déroger au statut des baux commerciaux, établissant ainsi les bases d'une relation contractuelle spécifique.
Durée du Bail de Courte Durée
Le point de départ du bail est fixé à l'entrée du locataire dans les lieux, excluant certaines périodes de calcul telles que les aménagements préalables ou l'occupation sans consentement du bailleur.
Ainsi, ne sont pas incluses dans la durée du bail :
- la période pendant laquelle le locataire a occupé les lieux, avec l'accord du bailleur, afin d'y réaliser des aménagements pour préparer l'exécution du bail;
- la période pendant laquelle le locataire a occupé les lieux sans le consentement du bailleur car elle constitue alors une occupation de pur fait ;
- la période pendant laquelle le locataire a occupé les lieux en tant que sous-locataire car le propriétaire des locaux n'est pas partie au contrat de sous-location;
- la période pendant laquelle le locataire a occupé les lieux en tant que titulaire d'un bail commercial.
La volonté de conclure un bail dérogatoire ne peut être présumée et doit être explicitement exprimée. Cette volonté peut être seulement tacite et résulter des circonstances de fait, mais elle doit être claire et non équivoque.
Exemple de clause :
« En toute connaissance de cause et suffisamment informées, les parties entendent soumettre leurs engagements aux dispositions de l'article L 145-5 du Code de commerce, et expressément déroger, en toutes ses dispositions, au statut des baux commerciaux édicté par le Code de commerce. »
Les parties n'ont pas besoin d'expliquer les raisons qui motivent leur choix en faveur du bail dérogatoire (au contraire d'une convention d'occupation précaire).
Régime du Bail de Courte Durée
Le bail de courte durée est soumis aux dispositions du Code civil, offrant ainsi aux parties une certaine latitude contractuelle. Toutefois, il est souligné que la rédaction d'un contrat détaillé demeure essentielle pour garantir une sécurité juridique optimale.
La clause relative à la fin du bail doit faire l'objet d'une attention toute particulière : aucune prolongation tacite ne doit être prévue. Il existe un risque dans cette hypothèse : le bail pourra se transformer en bail soumis au statut des baux commerciaux.
Un état des lieux doit être établi de manière contradictoire par les deux parties (ou un tiers mandaté par elles) au moment de la prise de possession des locaux et lors de leur restitution. À défaut d'état des lieux amiable, il est établi par un huissier de justice à l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire. L'état des lieux doit être joint au contrat de bail.
Situation à l'Expiration du Bail de Courte Durée
À l'issue du bail de courte durée, le locataire ne bénéficie pas du droit au renouvellement et doit quitter les lieux sans pouvoir prétendre à une quelconque indemnité d'éviction. Toutefois, il est important de noter qu'un maintien dans les lieux un mois après l'expiration peut conduire à la création d'un nouveau bail soumis au statut, sous réserve de certaines conditions.
Cette règle demeure applicable même si le bail dérogatoire avait été conclu pour une durée inférieure à la limite de trois ans. Ainsi, il n'y a pas de prolongation tacite du bail dans le cadre des trois ans.
Pour que le statut des baux commerciaux s'applique au nouveau bail, il est impératif que les conditions générales d'application du statut soient respectées. En particulier, le locataire doit disposer d'un bail portant sur un immeuble ou un local et exploiter un fonds de commerce dont il est propriétaire dans ces locaux. Contrairement à une exigence courante, l'immatriculation au registre du commerce à la date d'expiration du bail dérogatoire n'est pas nécessaire selon la jurisprudence établie.
Pour éviter la création d'un nouveau bail soumis au statut, le bailleur doit informer le locataire de sa volonté de mettre fin à l'occupation des lieux au plus tard un mois après l'échéance du bail. De son côté, le locataire dispose d'un mois à compter de l'échéance pour quitter volontairement les lieux.
Il est important de noter que le délai d'un mois se calcule de quantième en quantième. En d'autres termes, si le locataire quitte les lieux le dernier jour du mois, le délai expire également le dernier jour du mois qui sert de terme au délai. Par exemple, si le bail prend fin le 31 août, le bailleur peut notifier son opposition au locataire au plus tard le 30 septembre suivant.
Le bailleur peut formellement exprimer son refus de la présence continue du locataire dans les lieux en rappelant à ce dernier qu'il doit quitter les lieux au plus tard un mois après l'échéance du bail. Pour garantir une preuve, il est recommandé au bailleur de prévenir le locataire par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte extrajudiciaire (signification par huissier).
Il est essentiel de souligner qu'une clause du bail stipulant que le bail dérogatoire prend fin automatiquement à l'expiration du bail serait insuffisante. Si le bailleur a clairement exprimé son opposition à la poursuite des relations contractuelles, le maintien du locataire dans les lieux un mois après l'échéance ne conduit à un nouveau bail soumis au statut que si des actes ultérieurs non équivoques du bailleur laissent penser qu'il est revenu sur sa décision.
Dans le cas d'un locataire en redressement judiciaire qui demeure dans les locaux à la fin du bail dérogatoire, il est lié par un bail soumis au statut des baux commerciaux, même si son administrateur judiciaire avait demandé la résiliation du bail avant l'échéance.
Contenu du Nouveau Bail
Le nouveau bail résultant du maintien du locataire dans les lieux conserve les mêmes clauses que le bail expiré, à l'exception de celles incompatibles avec le statut. Par ailleurs, le cautionnement donné pour le bail dérogatoire ne s'étend pas, sauf mention expresse en ce sens, au bail commercial qui lui succède. Quant au loyer du nouveau bail, il est librement fixé par les parties. Si celles-ci ne parviennent pas à s'entendre sur son montant, il doit correspondre à la valeur locative.
L'action en fixation du loyer du nouveau bail est soumise à la prescription biennale de l'article L 145-60 du Code de commerce dont le délai court à compter de la date à laquelle l'une des parties a revendiqué l'application du statut.
Conclusion d'un Nouveau Bail de Courte Durée
Les parties ont la possibilité de conclure un nouveau bail dérogatoire à la fin du premier, à condition de respecter la durée maximale de trois ans.
À l'expiration de la durée maximale de trois ans, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant au statut pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux (C. com. art. L 145-5, al. 1).
Cette formulation laisse la possibilité aux parties de conclure un nouveau bail dérogatoire :
- soit en vue d'exploiter le même fonds mais dans un autre local appartenant au bailleur ;
- soit en vue d'exploiter un fonds différent dans le même local.
La renonciation du locataire à l'application du statut des baux commerciaux demeure possible, mais elle est sans effet si la durée cumulée des baux dérogatoires successifs excède trois ans. Au delà de cette durée, le locataire ne peut donc pas comme auparavant conclure avec le bailleur une nouvelle convention dérogatoire en renonçant au statut des baux commerciaux.
Auteur : Rémy NERRIERE - juriste-formateur en immobilier, Codirigeant de l'organisme de formation immobilier Immo-formation.fr. Ce sujet est développé dans une Formation bail commercial d'une journée.
Pour toute information sur cette formation : contact@immo-formation.fr. Décembre 2023